Vers une crise diplomatique entre la France et la Turquie ?
Lundi 23 janvier dans la soirée vient d’être adoptée par le Sénat une proposition de loi visant à réprimer la négation du génocide juif et arménien en France. Votée par la majorité et l’opposition de gauche en décembre, elle condamne à un an de prison et 45 000 euros d’amende « la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi ». C’est la cinquième loi « mémorielle » votée en France, ie qui affirme le point de vue étatique sur un fait historique. Bien sûr, les réactions d’Ankara ont été vives. Retour sur une question diplomatique délicate.
Si Ankara se sent particulièrement visée, c’est que le texte en question cible implicitement le génocide arménien de 1915-1916 au cours duquel plus d’un million d’Arméniens sont morts lors des déportations et des massacres perpétrés par l’empire ottoman. Lors du premier vote de la proposition de loi fin décembre dernier, Ankara avait rappelé son ambassadeur à Paris et avait menacé la France de représailles commerciales et diplomatiques. Après le vote de ce matin, Recep Tayyip Erdogan a vivement critiqué cette loi, la qualifiant de « discriminatoire » et de « raciste » et a accusé Nicolas Sarkozy d’ »instrumentaliser les sentiments anti-turcs à des fins électoralistes », mais aucune mesure concrète de représailles n’a encore été annoncée.
Du point de vue strictement économique, il est impossible pour la Turquie (membre de l’OMC et de l’Union douanière) d’appliquer des sanctions économiques à la France. Mais concrètement, les groupes français pourraient se voir privés de grands contrats publics, les produits français pourraient être boycottés et la coopération militaire suspendue, alors même que la France et la Turquie, membres de l’OTAN, s’attachent actuellement à trouver une issue à la crise en Syrie.
On peut sans doute y voir une manœuvre politicienne du gouvernement à l’approche de l’élection présidentielle pour s’attirer les voix d’une certaine partie de l’électorat. Car dans une optique purement diplomatique, il est absurde pour la France, compte-tenu de ses relations avec le Moyen-Orient, de provoquer un bras de fer avec Ankara.
Mais on peut également s’interroger sur la nature même de ce projet de loi : revient-il au législateur de dire l’histoire ? Que penser de sa judiciarisation à la française et de la création du délit de négationnisme ?
La question de la constitutionnalité de la loi se pose, même si les défenseurs de cette dernière affirment qu’elle n’est pas contraire à la liberté de recherche notamment, et qu’ « elle ne qualifie pas des faits historiques ». Reste à savoir si cette loi ne fait pas le jeu du négationnisme qu’elle entend combattre et si c’est bien sur le terrain judiciaire que les assassins de la mémoire doivent être placés. Un débat public intéressant avant les élections, qui pourrait malheureusement vite être réduit à la question du racisme et du statut des minorités (une pente glissante) alors qu’il interroge plus largement les notions de deuil du passé et de nation moderne.